CROSSROAD, à la croisée des chemins de l’AMOC
La circulation méridienne de retournement de l’Atlantique, ou AMOC, est une sorte de tapis roulant géant qui transporte les eaux chaudes de surface au nord de l’océan, puis les renvoie vers le sud, à plus grandes profondeurs, une fois refroidies. Composée de trois expéditions, la mission océanographique CROSSROAD s’intéresse au trajet emprunté par ces eaux froides et profondes au large de Terre-Neuve, un maillon clé du grand tapis roulant.
C’est une construction mathématique qui comprend des courants aussi fameux que le Gulf Stream. La circulation méridienne de retournement de l’Atlantique, ou AMOC, décrit le transport d’eau chaude vers les régions subarctiques, puis leur plongée vers les abysses en se refroidissant et, enfin, leur retour vers l’Équateur via les fonds marins. L’AMOC représente un transport massif de chaleur qui contribue à réguler les températures océaniques et atmosphérique à très grande échelle.
Les masses d’eaux chaudes se situent entre la surface et mille mètres de profondeur, tandis que les froides circulent en sens inverse dans les abysses. L’AMOC forme ainsi une sorte de tapis roulant géant transportant de la chaleur, mais aussi des nutriments. Malgré son importance, le fonctionnement de l’AMOC reste mal connu, et son potentiel ralentissement en réponse au changement climatique est encore incertain. Il s’agit en particulier de savoir si, quand et à quelle vitesse ce ralentissement se déroulera.
La mission océanographique CROSSROAD
Ces questions animent Damien Desbruyères, chargé de recherche IFREMER au Laboratoire d’océanographie physique et spatiale1
. Ce lauréat de la médaille de bronze du CNRS 2024 étudie plus particulièrement les courants au niveau de Terre-Neuve, où se croisent deux immenses tourbillons formés par les courants océaniques et certaines branches de l’AMOC. Les courants dans cette « zone de transition » sont particulièrement énergétiques, et le relief sous-marin très complexe. Cette relativement petite zone, à l’échelle de l’océan, contrôle ainsi bien des changements dans les grands courants océaniques.
Damien Desbruyères dirige la mission CROSSROAD, répartie en trois expéditions océanographiques en 2023, 2024 et 2025. Ces missions impliquent des scientifiques de l’Ifremer, du CNRS, de l’Université de Bretagne Occidentale, ou encore de l’Université de Brême et de l’Université de Hambourg, embarquées notamment à bord du Thalassa et de l’Atalante, navires de la Flotte océanographique française opérée par l’Ifremer et sa filiale d’armement Genavir. Ces campagnes océanographiques sont financés en partie par l’ANR (Agence nationale de la recherche) et par le projet européen EPOC (Explaining and predicting the ocean conveyor).
« CROSSROAD s’intègre dans un effort plus général d’augmentation de nos connaissances sur le fonctionnement, les mécanismes régissant la variabilité (e.g. future) de l’AMOC, explique Damien Desbruyères. Nous savons déjà que la zone de Terre-Neuve est importante car elle perturbe fortement la propagation des eaux froides du nord vers le sud, car elle casse la continuité méridienne du “tapis roulant”. Nous y avons donc déployé toute une panoplie d’instruments in situ pour mieux l’observer et l’analyser. »
Jusqu’à 4000 mètres de profondeur
Afin de mener des mesures dans les couches d’eaux froides et profondes, au-dessus des pentes continentales, l’équipe de CROSSROAD a installé des lignes de mouillage allant de 1000 à 4000 mètres de profondeur. Elles sont bardées d’instruments jaugeant en temps réel la température et la salinité de l’eau, ainsi que la vitesse du courant. L’objectif étant de reconstituer les grands courants de manière continue dans le temps. Ces mouillages ont été déployés en 2023 et seront récupérés au mois de septembre 2025. L’un d’eux est équipé d’un capteur de microstructure, qui monte et descend mécaniquement le long du filin au lieu de rester statique, et mesure le mélange turbulent de petite échelle.
- 1LOPS, CNRS/IFREMER/IRD/Univ. Bretagne occidentale

Les scientifiques ont aussi mis à l’eau quinze flotteurs Deep Argo, capables de plonger de la surface jusqu’à 4000 mètres de profondeur pour mesurer la température, la teneur en oxygène, et la salinité des masses d’eau. De nombreuses mesures hydrographiques (température, salinité, oxygène et vitesse du courant) ont également été réalisées en 2024 via la fameuse rosette bathysonde, un engin déporté et descendu vers les abysses depuis le navire en un point fixe, et permettant d’obtenir des coupes de l’océan avec une haute résolution spatiale.
Enfin, des carottes sédimentaires de quelques mètres seront prélevées en septembre 2025. Elles permettront de reconstruire l’intensité des courants sur plusieurs siècles. Toutes ces données seront complémentées par une expérience de modélisation et permettront d’alimenter, à terme, les travaux du GIEC via une amélioration des processus physiques dans les modèles de climat.
Le temps de l’analyse des données
L’analyse des données de mouillage pourra débuter en octobre 2025 une fois que ces derniers auront été récupérés. Une thèse a également été lancée en octobre dernier sur l’analyse des sections hydrographiques et des mesures de turbulence réalisées en 2024, mais il est encore trop tôt pour publier des résultats.
« Dès que l’on part en mer dans le cadre d’un projet regroupant plusieurs campagnes, il faut du temps pour se préparer comme pour traiter les données récoltées, explique Damien Desbruyères. De tels projets s’étalent sur plusieurs années. Mais partir longtemps en mer, c’est toujours enrichissant d’un point de vue aussi bien professionnel que personnel. Sur un bateau, on est confrontés à plein d’autres métiers et expertises : des chercheurs d’autres disciplines, mais aussi des marins, des cuisiniers, les officiers de la passerelle, et le plus souvent des personnalités intéressantes ! »
« Gérer un projet et une équipe, et parfois devoir prendre des décisions sur le vif, apporte du piment supplémentaire à la campagne du chef de mission », poursuit Damien Desbruyères. Par contre, au large de Terre-Neuve, la météo n’est pas toujours bonne, la mer est formée, le ciel gris, l’air parfois froid… Quelques semaines c’est suffisant ! »
Il se remémore cependant avec plaisir sa campagne dans le houleux passage de Drake, entre le Cap Horn et l’Antarctique, pendant qu’il était en postdoctorat à l’université de Southampton (Royaume-Uni). En plus d’avoir réalisé des sections hydrographiques en pleine mer, il a pu passer quelques jours à la base anglaise de Rothera et poser ainsi le pied en Antarctique. Mais pour la prochaine expédition, retour à Terre-Neuve pour la troisième et dernière partie de CROSSROAD.

Le mois de l’océan en Bretagne
En juin 2025, l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) et le CNRS célèbrent l’océan, en mettant en avant les scientifiques, étudiantes et étudiants, qui en ont fait leur sujet d’étude et de recherche.
Plongez en leur compagnie pour découvrir un écosystème maritime breton d’exception : https://www.bretagne-pays-de-la-loire.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/le-mois-de-locean-2025