Prémices inédites d’extraction de colorants pourpres sous influence méditerranéenne

Résultat scientifique Ecologie et environnement

L’utilisation du colorant pourpre à partir de coquillages est une activité oubliée du littoral atlantique français. Au-delà de cette amnésie, ce produit de luxe fut réservé aux élites dans différentes parties du globe. Des milliards de murex et de pourpres ont ainsi été massacrés afin d’extraire l’élixir de l’animal. Une équipe transdisciplinaire, impliquant des scientifiques du Centre de recherche en archéologie, archéosciences, histoire (CReAAH, CNRS/Le Mans Univ./Ministère de la culture/Nantes Univ./Univ Rennes/Univ. Rennes 2), revient sur les plus anciens témoins de cette activité dans un article publié dans la revue PALEO. Il propose un scénario inédit qui montre que cette activité est testée dès le IIIe siècle avant notre ère sur la côte atlantique de la Gaule par des Méditerranéens. Comment un savoir-faire a-t-il été adapté aux ressources locales ? C’est ce que nous révèlent les coquilles issues de fouilles archéologiques.

En résumé

  • L’extraction de colorant à partir de mollusques marins le long du littoral atlantique français s’est effacée de nos mémoires.
  • Loin d’être une activité isolée, la production de pourpre sur une petite île de l’Ouest de la Gaule semble influencée par des contacts méditerranéens.
  • Les coquillages archéologiques témoignent de l’extraction du colorant pourpre dès le IIIe siècle avant notre ère sur la côte atlantique de la Gaule.

La biodiversité passée peut-être approchée en archéologie par le filtre des exploitations humaines. Plus de 70 espèces d’invertébrés marins comprenant des mollusques et des crustacés ont ainsi été découverts sur le site gaulois de Port-Blanc localisé sur l’île d’Hoedic au Nord-Ouest de la France. Cette diversité observée grâce à des méthodes de fouille adaptées est liée à la multiplicité des pratiques auxquelles ces ressources marines ont participé. Si leur utilisation alimentaire est courante en contexte insulaire de la Préhistoire jusqu’à nos jours, une autre activité a été mise en évidence dans une occupation humaine qui s’étend du IIIe siècle avant notre ère au Ier siècle de notre ère, celle de la production de colorant rouge, produit à haute valeur symbolique de la dignité souveraine. Port-Blanc est ainsi l’un des plus anciens sites archéologiques connus le long du littoral atlantique français qui atteste de cette activité. Elle a été mise en évidence à Hoedic à partir de l’analyse fine de la cassure systématique des mollusques qui possèdent ces propriétés tinctoriales. Deux espèces en sont pourvues le murex Ocenebra erinaceus et le pourpre Nucella lapillus

Si les Romains ont influencé le développement de cette activité, Port-Blanc montre que les propriétés tinctoriales étaient connues le long des côtes nord-ouest de la Gaule avant la conquête romaine. C’est donc une donnée inédite qui est apportée par la succession des occupations de ce site archéologique. L’activité qui consiste à extraire du colorant des coquillages y a varié au cours du temps. Le début de l’occupation, La Tène moyenne (IIIe siècle avant notre ère), témoigne d’une exploitation délibérée des bas niveaux de l’estran. Elle est mise en évidence par la présence de mollusques qui sont inféodés à ces zones mais aussi à plusieurs observations faites sur le murex Ocenebra erinaceus. En effet, ce coquillage aux propriétés tinctoriales a volontairement été exploité par les populations humaines. Ses proportions par rapport aux autres espèces en attestent, ainsi que la taille des individus exploités qui vont des adultes aux juvéniles. La difficulté temporelle d’accessibilité de son biotope par la nécessité de grands coefficients de marée est un marqueur fort d’une recherche choisie de ce gastéropode. L’espèce de murex identifiée à Port-Blanc Ocenebra erinaceus est présente en Atlantique français. Elle s’apparente, par son aspect, au mollusque phare de la production de colorant pourpre en Méditerranée : l’Hexaplex trunculus. L’hypothèse est posée d’un possible transfert technique de cette activité à haute valeur ajoutée via des influences méditerranéennes par mimétisme sur une espèce de forme apparentée. Quelques décennies plus tard, à La Tène finale, l’extraction de colorant est transférée sur une autre espèce, le pourpre Nucella lapillus. Les données biométriques et la fragmentation des espèces tinctoriales permettent de décrire les étapes de leur exploitation, de leur collecte à leur abandon dans les zones de rejets de Port-Blanc.
 

Plusieurs hypothèses peuvent expliquer l’utilisation d’un coquillage d’apparence proche morphologiquement de celui exploité en Méditerranée. La circulation de coquilles ou de ses représentations (dessins par exemple) ou encore celle de marchands ou émissaires venus de Méditerranée sont des scenarii envisagés. L'hypothèse d'une découverte locale n’est pas exclue mais elle n’est pas la plus logique du fait de la plus grande accessibilité des Nucella lapillus par rapport aux Ocenebra erinaceus. Le scénario de l'émissaire ou du marchand romain est probable, car le commerce à longue distance de produits d'origine méditerranéenne existe dès le début de l'âge du Fer par voies maritimes, comme en attestent notamment les nombreuses amphores chargées de vin qui jalonnent le littoral Atlantique.

Si l'on regarde de plus près la situation en Méditerranée, les preuves actuellement disponibles suggèrent que la teinture pourpre a été produite dans la mer Égée et en Italie dès l'âge du Bronze. Ainsi, la production de pourpre Atlantique peut avoir été stimulée par des influences méditerranéennes antérieures à la conquête romaine continentale. Nous ne savons pas si le produit final était une poudre ou un liquide, et si la teinture était utilisée sur le site de Port-Blanc ou exportée. Ce dernier scénario est plausible en raison de l'importance de la demande de l’or pourpre dans le bassin méditerranéen.

Le site archéologique de Port-Blanc nous apprend que, par rapport à d'autres marchandises transportées par voie maritime à la même époque, c'est un savoir-faire qui semble avoir voyagé du bassin méditerranéen vers le Nord-Ouest de la France. La pourpre, de valeur inestimable, aurait pu circuler en retour de l’Atlantique vers le bassin méditerranéen.

Localisation du site de Port-Blanc et site archéologique en cours de fouille© Laurent Quesnel et Catherine Dupont/CNRS l Marie-Yvane Daire/CNRS
Concentration de pourpres en cours de fouille© Inrap Anna Baudry

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