Swings étudie la pompe à carbone biologique de l’océan Austral

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Le phytoplancton joue un rôle clé dans le cycle du carbone en absorbant une partie du CO2 dissous dans les océans. Il a pour cela besoin de métaux, comme le fer et le manganèse. La mission Swings est allée les cartographier dans l’océan Austral.

Chaque prélèvement engage la responsabilité et l'intégrité de l'équipe scientifique: la production de la connaissance se doit d'être rigoureuse, indépendante et vérifiable.
Hélène Planquette, Chercheuse CNRS au LEMAR (CNRS/UBO/Ifremer)

En janvier 2021, une cinquantaine de chercheurs et chercheuses ont embarqué à bord du Marion Dufresne II pour étudier la pompe à carbone biologique de l’océan Austral, c’est-à-dire l’absorption du CO2 par le phytoplancton. Parti de la Réunion, le navire a rejoint Durban en Afrique du Sud, puis la dorsale océanique sud-ouest indienne, les îles du Prince Edward, l’île Marion, les îles Crozet, l’île Heard, puis l’île Kerguelen avant de rentrer à la Réunion. La mission Swings a ainsi représenté un périple de huit semaines au riche programme scientifique.

« Nous voulions étudier plusieurs choses dans le contexte général de la pompe à carbone, dont la distribution et l’origine des nutriments qui la contrôlent, explique Hélène Planquette, directrice de recherche CNRS au Laboratoire des sciences de l’environnement marin1  et co-oorganisatrice de Swings. Le phytoplancton a en effet besoin de se nourrir pour croître et assurer la photosynthèse. L’océan Austral fonctionne comme un immense tapis roulant situé aux confluences des océans Indien, Pacifique et Atlantique. Nous avons étudié comment les éléments y sont consommés par le plancton, recyclés dans la colonne d’eau, puis transportés jusqu’aux fonds marins. » L’exploitation de ces données se fera jusqu’au moins en 2027, notamment grâce aux projets ANR2  Swings et Awesome-Swings. 

Une cartographie des métaux

Plusieurs métaux, comme le fer, le manganèse, le cuivre ou le cobalt, jouent un rôle important pour les cellules phytoplanctoniques. Ils vont par exemple servir aux enzymes impliquées dans la fixation d’azote ou dans le transport de l’oxygène. Grâce à la mission Swings, leur distribution a pu être cartographiée dans l’eau, tout au long du parcours de la campagne. Des échantillons de poussières atmosphériques ont également été collectés. « Jusqu’à présent, nous ne disposions que de données locales, centrées autour des îles Crozet ou Kerguelen. C’est la première fois que nous obtenons une vision d’ensemble du secteur indien de l’Océan Austral, affirme Hélène Planquette. Ces résultats viendront alimenter la base de données internationale Geotraces, qui documente la répartition des métaux à l’échelle mondiale. Son lancement est prévu pour février prochain. »

Les métaux présents dans l’océan proviennent de différentes sources, ils peuvent être apportés par l’atmosphère sous forme de poussières, d’origine anthropique ou naturelle, de sédiments, ou provenir directement des roches - on parle alors de sources lithogènes. « Parmi les zones explorées, les environs des îles Crozet se sont révélés particulièrement riches en éléments d’origine lithogènes : fer et silice, explique Hélène Planquette. Nous avons constaté que ces apports, essentiels pour le phytoplancton, étaient non seulement abondants autour de Crozet, mais également dispersés bien plus au large que ce que l’on imaginait, ceci, grâce notamment à la dissolution de particules, processus qui avait été mis en évidence par des expériences au laboratoire menées dans le cadre du projet ANR BIIM qui s’est achevé en 2021. »

Un panache hydrothermal discret mais révélateur sur la dorsale sud-ouest indienne

L’équipe de SWINGS a également mis en évidence un panache hydrothermal actif sur la dorsale sud-ouest indienne (SWIR), au sud de 40° S, grâce à une approche multi-traceurs. Bien que de faible à moyenne température, ce système libère du fer et du manganèse dissous, enrichissant localement les eaux profondes, avec des concentrations trois à sept fois plus fortes que celles des zones de référence. Une part importante du fer dissous semble être stabilisée par des substances humiques d’origine organique, suggérant un rôle clé des processus microbiens dans la préservation de ces micronutriments. 

  • 1LEMAR, CNRS/IFREMER/IRD/Univ. Bretagne Occidentale
  • 2Agence nationale de la recherche.
Le navire Marion Dufresne dans des conditions de navigation souvent difficiles comme ici, dans les Quarantièmes rugissants.© Fred PLANCHON / UBO-LEMAR

Le rôle de la rosette

Les éléments traces sont présents dans l’océan sous forme dissoute ou particulaire. Au cours de SWINGS, des milliers de prélèvements ont été effectués par plusieurs instruments, dont le principal est la rosette. Cette structure supporte des bouteilles de douze litres, montées en carrousel, et peut descendre jusqu’à six kilomètres de profondeur. Des capteurs permettent d’acquérir des données comme la salinité, le taux d’oxygène ou encore la présence de chlorophylle, afin d’identifier les profondeurs d’intérêt pour fermer les bouteilles et collecter les échantillons d’eau de mer.
La mission Swings était équipée de deux rosettes de vingt-quatre bouteilles, permettant des mesures de la surface jusqu’au fond de l’océan. Huit pompes in-situ, capables de filtrer plusieurs centaines de litres d’eau de mer, étaient également utilisées, aux côtés d’un collecteur de pluie et d’aérosols et d’un mini-carottier pour récupérer des sédiments au fond de la mer. Tous ces équipements sont préparés avec soin et mis à disposition de la communauté scientifique par le Parc National d’Instrumentation Océanographique du CNRS, qui s’est d’ailleurs vu remettre le Cristal collectif du CNRS fin 2024.

« Les missions océanographiques permettent de mieux comprendre le fonctionnement de l’océan, en particulier de l’Austral qui est méconnu car difficile d’accès, affirme Hélène Planquette. Cela ne fait que vingt ans que l’on sait mesurer les métaux traces et Swings a été la première opportunité de les cartographier et d’étudier leur assimilation par le phytoplancton ainsi que leur recyclage en profondeur sur un transect3  aussi long. L’océan Austral est un puits de carbone assez important, soumis au changement climatique, il est urgent de mieux comprendre son fonctionnement. »

  • 3Un transect est une ligne imaginaire ou physique le long de laquelle on étudie et mesure un phénomène.
Déploiement d'une rosette "Trace Metal Clean" près de l'île Marion, durant la campagne SWINGS© Corentin BAUDET / LEMAR / LEGOS / UBO / CNRS Images

Une aventure scientifique et humaine

Aux côtés de Catherine Jeandel, directrice de recherche CNRS au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales4 , Hélène Planquette a mis plusieurs années à monter la campagne Swings. Vingt-trois projets ont été soumis pour trouver les financements. 
La mission s’est en plus déroulée en pleine épidémie de COVID et il fallait s’assurer qu’aucun cluster ne se forme à bord du Marion Dufresne II, au risque de voir toute la mission être annulée. « Heureusement, personne n’a été malade, se souvient Hélène Planquette. À bord nous étions à la fois confinés et déconfinés ! »

Un soulagement à la hauteur de la pression d’être coresponsable d’une telle mission. « Tout s’est bien enchaîné malgré les pannes et les aléas météo, poursuit Hélène Planquette. Avec Catherine Jeandel, nous dormions à peine trois ou quatre heures par 24h. Il fallait veiller à ce que tout fonctionne, sans jamais perdre l’esprit d’équipe ni la bonne humeur à bord. Nous avons tous apprécié notre chance de participer à une telle expédition : observer des aurores australes, croiser des manchots ou des éléphants de mer… Et puis, il y avait cette excitation constante : assembler les pièces d’un puzzle scientifique, tout en partageant une aventure profondément humaine. »

 

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Ces recherches ont été financées en tout ou partie par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet « Impact du Fer particulaire d'origine hydrothermale et sédimentaire sur le cycle biogéochimique du fer – BIIM ». Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PRC des appels à projets génériques 2018-2019 (SAPS-CSTI-JCJC et PRC AAPG 18-19).

  • 4Legos, CNRS/Cnes/IRD/Univ. Toulouse

Le mois de l’océan en Bretagne

En juin 2025, l’Université de Bretagne Occidentale (UBO) et le CNRS célèbrent l’océan, en mettant en avant les scientifiques, étudiantes et étudiants, qui en ont fait leur sujet d’étude et de recherche. 

Plongez en leur compagnie pour découvrir un écosystème maritime breton d’exception : https://www.bretagne-pays-de-la-loire.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/le-mois-de-locean-2025 

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