Lucile Rutkowski : développer des instruments de A à Z

Entretien Physique

En astrophysique, c’est la construction optique qui a tapé dans l’œil de Lucile Rutkowski. À l’Institut de physiques de Rennes (IPR, CNRS/Université de Rennes), elle développe des méthodes de détection adaptées aux environnements extrêmes. De la préparation de l’instrument à l’analyse de données, elle participe à toutes les étapes avec attention.

  A l'occasion de la journée internationale des femmes et filles de sciences, le 11 février 2024, et jusqu'à la journée internationale des droits des femmes le 8 mars 2024, découvrez la diversité des recherches menées par les physiciennes au CNRS à travers une série d'entretiens. Cette opération est labellisée Année de la physique 2023-2024.

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Quel est votre parcours ?
Au fond de moi, j’ai toujours su que je voulais faire de la recherche. Mes parents avaient une formation scientifique en biochimie et pendant des années je pensais faire de la biologie pour guérir le cancer. Mais au lycée, j’ai choisi l’option des sciences de l’ingénieur, et la physique a commencé à me passionner. Le domaine de l’optique et des ondes, notamment avec les phénomènes d’interférence et la physique ondulatoire, m’ont vite beaucoup plu.

En arrivant en licence de physique à Lyon, je m’intéressais comme beaucoup d’autres étudiants à l’astrophysique, mais je ne m’imaginais pas traiter les flux immenses de données en provenance des télescopes. Au cours de mon parcours, j’ai vite pris conscience que ce qui m’intéressait réellement, c’était de participer à la construction des grands télescopes tels qu’ALMA, au Chili, ou le télescope spatial James Webb. Je me suis alors orientée vers un master de recherche en optique et physique atomique et moléculaire, toujours à Lyon.

Après une thèse à l’Institut lumière matière1 sur la spectroscopie moléculaire large bande, j’ai enchaîné deux post-doctorats, un premier à l’Université d’Umeå en Suède puis un second à Polytechnique de Milan en Italie. Je suis enfin arrivée à l’Institut de physique de Rennes (IPR) en 2018 en tant que chargée de recherche CNRS au département de physique moléculaire.

Construire des systèmes optiques entiers, maîtriser toute la chaîne de développement associée, analyser les données, c’est cette multitude de possibilités qui m’a plu dans ma discipline et qui continue de m’inspirer aujourd’hui.

Sur quoi travaillez-vous ?
Je travaille sur le développement de spectromètres de précision pour l’astrophysique de laboratoire. À l’IPR, nous nous intéressons à la physico-chimie du milieu interstellaire et des atmosphères planétaires, et nous tentons de reproduire au mieux les conditions de ces environnements en laboratoire. Pour obtenir des températures très froides, nous utilisons notamment des jets supersoniques qui sont un peu notre marque de fabrique. Dans ces jets, nous pouvons étudier des molécules complexes de façon très précise, ou encore observer des réactions chimiques élémentaires, afin d’en connaître les rapports de branchement (c’est-à-dire être capable de déterminer quel pourcentage d’un réactant va se transformer en un produit donné).

L’enjeu du projet ANR Jeune Chercheur2 que je coordonne est de développer un spectromètre avec un laser à impulsions femtosecondes qui puisse détecter plusieurs espèces chimiques, qui soit résolu temporellement et qui soit assez sensible pour détecter des gaz à l’état de traces. Cet objectif entre en résonnance avec mes travaux de thèse et de postdoctorat qui étaient focalisés sur ce type de développements instrumentaux, mais pour d’autres applications. Dans ce projet, j’utilise mes compétences instrumentales pour étudier un objet précis, le gaz présent dans le milieu interstellaire.

Quel regard portez-vous sur la place des femmes dans votre discipline ?
Dans ma discipline, les femmes représentent environ 30% des chercheurs, avec une tendance à l’augmentation de la proportion de femmes parmi les jeunes recrues au CNRS et à l’université.

La représentation des femmes dans la science est pour moi très importante car j’ai été moi-même entourée de scientifiques brillantes qui m’ont permis de me projeter dans une carrière académique. Durant mon parcours, plusieurs collègues m’ont montré par des commentaires assez durs que les femmes en sciences étaient déconsidérées et ces commentaires détruisent la confiance des doctorantes. Personnellement, je ne pense pas que j’en serais ici dans ma carrière si je n’étais pas allée en Suède, où j’ai travaillé dans le groupe d’Aleksandra Foltynowicz. Ce fut très positif d’avoir comme directrice de recherche quelqu’un qui avait réussi et qui me ressemblait : cela m’a permis de dépasser le syndrome de l’imposteur et de prendre conscience de ce qui était important pour moi en tant que scientifique.

Au final, je pense que l’existence d’équipes de recherche où les chercheuses sont assez présentes incite les femmes à candidater, que ce soit pour un stage, une thèse ou un poste.

Quel message souhaiteriez-vous faire passer à la jeune génération ?
Il faut se rendre dans les laboratoires et ne pas hésiter à aller à la rencontre des personnes qui y travaillent. La recherche offre un vaste panel de métier et de spécialités qui nécessitent des qualités très variées. Par exemple, une des qualités essentielles qui font un bon chercheur dans mon domaine, c’est d’avoir l’esprit pratique : il ne faut pas avoir peur de devoir faire des réglages très fins mais aussi de bricoler en faisant quasiment de la manutention. Et ce n’est ni l’apanage des hommes ni celui des femmes.

  • 1CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1
  • 2 Ces recherches ont été financées en tout ou partie, par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR) au titre du projet ANR CECoSA -AAPG2018-19. Cette communication est réalisée et financée dans le cadre de l’appel à projet Sciences Avec et Pour la Société - Culture Scientifique Technique et Industrielle pour les projets JCJC et PPRC des appels à projets génériques 20218-2019 (SAPS-CSTI-JCJ et PRC AAPG 18-19). 
© Lancelot Naigeon, IPR (CNRS/Université de Rennes)

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